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Julie Rechagneux
Julie Rechagneux

Discours de Julie Rechagneux à l’occasion de la commémoration de Jeanne d’Arc

Bergère, guerrière, sainte — Jeanne d’Arc incarne la destinée héroïque par excellence. Elle est de ces femmes qui, face à une situation existentielle, rassemblent en elles toutes les qualités humaines et les portent à leur plus haut degré d’intensité.

Bergère, elle est l’image de l’extraction populaire et rurale. Guerrière, elle incarne la fidélité absolue à la patrie. Sainte, elle représente le sacrifice ultime et la vision inspirée, celle qui soulève les peuples et bouleverse les puissants, même lorsque l’impuissance semble triompher. Jeanne d’Arc continue de nous parler, de nous inspirer.

Et c’est pourquoi, chaque année, nous nous rassemblons pour honorer son souvenir comme un emblème vivant de notre attachement à la France. Il fut un temps où Jeanne d’Arc était une figure dans laquelle tous les Français pouvaient se reconnaître. Lorsque sa fête fut déclarée nationale en 1920, elle rassemblait, dans un même élan de dévotion et de patriotisme, les membres opposés d’une même assemblée.

Qu’en reste-t-il aujourd’hui de ce patriotisme commun, socle de la République, ciment d’une mémoire partagée, plus fondamentale encore que nos divergences politiques ? Ce socle commun, il s’est brisé.

On nous dit désormais que Jeanne d’Arc est une figure désuète, vestige d’un autre temps, d’une autre France — d’un royaume, pas d’une République, osent-ils prétendre. Ceux-là ne se contentent plus de désacraliser Jeanne d’Arc : ils veulent la profaner. Ils la passent au crible de leurs modes idéologiques : on voit surgir des Jeanne d’Arc “woke”, comme si le courage et le patriotisme ne pouvaient être féminins, comme s’il fallait « se travestir » pour aimer son pays.

Mais nous, en ce jour, ne célébrons pas une héroïne du passé, nous honorons une figure vivante, qui nous oblige et nous inspire. Elle nous appelle à redonner à la France confiance en elle-même. Confiance dans sa liberté. Confiance dans son indépendance. Confiance dans son unité.

L’histoire de Jeanne est d’abord celle de ses faits héroïques, teintés de merveilleux. Elle date de cette époque où l’imagination populaire, excitée par l’admiration, a revêtu une jeune femme de vêtements de gloire. Née en 1412 à Domrémy, dans une Lorraine encore fidèle au roi de France, elle grandit dans un monde bouleversé par la guerre, au cœur d’un village pieux, simple, rural. À l’âge de treize ans, elle affirme avoir reçu ses premières voix — celles de saint Michel, sainte Catherine et sainte Marguerite. Convaincue que Dieu l’a choisie pour délivrer la France, elle quitte son village, convainc le capitaine de Vaucouleurs, puis Charles VII, qu’elle appelle “le gentil Dauphin”. Armée d’une foi inébranlable et d’une armure, elle libère Orléans en 1429, conduit le roi à Reims pour son sacre, renversant le cours de la guerre. Capturée à Compiègne, livrée aux Anglais, elle est jugée à Rouen par un tribunal ecclésiastique sous influence anglaise, condamnée comme hérétique, puis brûlée vive en 1431 à l’âge de 19 ans.

L’histoire de Jeanne est ensuite l’histoire tourmentée de sa mémoire. Et ce tourment de la mémoire, c’est celui que nous vivons aujourd’hui, alors qu’on nous accuse de défendre un roman national. Nous qui ne faisons que transmettre le récit, parfois légendaire, mais profondément sincère et aimant de nos aïeux.

Pourquoi, nous qui aimons la France, n’aurions-nous pas le droit de réenchanter notre héritage ? Pourquoi réserver la grandeur, le merveilleux et la gloire aux autres ?

Jeanne d’Arc apparaît dans les sources médiévales dès février 1429, dans la lettre du bailli de Chaumont, qui évoque cette “jeune fille venue du royaume de France” annonçant une mission divine. Sa parole précieuse et rare est consignée dans son procès de condamnation à Rouen en 1431 : une transcription latine de plus de 700 pages, avec interrogatoires, accusations, gestes, visions. Vingt-cinq ans plus tard, le procès de réhabilitation (1455–1456), ordonné par Charles VII, fait entendre 115 témoins : anciens soldats, proches, villageois — une source capitale pour comprendre la perception populaire et politique de Jeanne. Depuis, sa mémoire n’a cessé d’être réactivée : figure locale autour d’Orléans, allégorie du peuple pour les républicains patriotes du XIXe siècle, symbole d’une France meurtrie mais victorieuse au lendemain de la Grande Guerre.

La France libre en exil ne s’y est pas trompée lorsqu’elle a choisi la croix de Lorraine pour emblème : Jeanne d’Arc l’arborait déjà dans sa lutte aux côtés des ducs d’Anjou et de Lorraine. Cette croix, fallait-il y voir un symbole anti républicain, comme la sensibilité contemporaine voudrait nous le faire croire ? Non. Car c’était un symbole d’appartenance au peuple, de patriotisme, de résistance. C’est le souvenir profond, devenu légendaire, d’une figure laïque autant que religieuse — laïque même, avant d’être religieuse, puisque sa réhabilitation par le pouvoir royal a précédé sa réhabilitation par l’Église. Combien nos débats contemporains sur la mémoire sont loin des préoccupations de nos aïeux, qui savaient se rassembler et s’incliner devant notre patrimoine moral et spirituel commun, au lieu d’aiguiser sans cesse les passions et les conflits.

Rassemblés aujourd’hui autour de cette statue, nous leur opposons le plus puissant contre-discours qui soit : celui de l’unité, mu par un même amour de notre pays ; celui de l’humilité, devant une figure qui force notre admiration ; celui de la fidélité, aux récits qui ont suscité l’enthousiasme de nos aïeux.

Héroïne, Jeanne d’Arc s’est distinguée par ses hauts faits. Symbole, elle incarne les tourments de la mémoire française que beaucoup voudraient effacer. Voix consignée dans les archives, elle incarne le silence que certains voudraient imposer à ceux qui aiment la France. Car Jeanne n’est pas que la somme de ses exploits : elle est une voix qui traverse les âges. Une voix qui disait simplement, et avec une certitude bouleversante : « Dieu aime les Anglais en Angleterre, mais ici, ils n’y ont point de droit. ».

Ainsi parlait Jeanne d’Arc, avec une clarté qui traverse les siècles. Comme elle, c’est l’amour de notre liberté, de notre indépendance et de nos institutions qui nous anime. Et cet amour n’est pas une fermeture : nous l’étendons au monde, à tous ceux qui cherchent la paix et la justice — pourvu, bien sûr, qu’ils respectent notre droit.

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